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Angkor, La Pierre et la Prière (ed. Alzieu, 2001)

 

 

 

Ce livre Portfolio - 2001 - est né d'une rencontre à Siem Reap avec le photographe Matthieu Verdeil.

Il se compose de photogtraphies NetB et de textes.

 

 

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Extraits

 

 

 

Rêve

Angkor est ce rêve de pierre promis à la poussière qui ne dure que contre nature. Tout l'appelle à se dissoudre, tous l'appellent à demeurer. Malraux qui fut l'hôte cleptomane de ces lieux a dit:
" L'art est un anti-destin. " Mais pour combien de temps? La réponse est à l'homme.

 

Voie du ciel, route d’enfer

Bangkok-Siem Reap. Cette route pourrait, et parait être celle qui relie les mondes ou les sépare. On laisse Kao (chaos ?) San Road à l'aube dans sa gueule de bois, ses néons éteints et ses vats qui s'éveillent à bord d'un minibus à air conditionné. On file pendant cinq heures sur une autoroute à travers une richesse qui surprend toujours à cette latitude, et puis on arrive à Poïpet. Frontière Thaïlande-Cambodge. Alors, le bitume parfaitement lisse devient terre, les habits de marque haillons ou peau nue, l'électricité un luxe impensable, la vitesse, lenteur. On marche à travers les enfants en guenilles, les porteurs d'eau, les béquilles et les membres absents; des bras ont disparu, d'autres se tendent. Retour vers le réel et quelques questions qu'on avait oubliées. Un comprimé miracle contre la malaria, un vaccin sur le passeport, quinze personnes dans un pick-up.

 

Difficile, très vite, de distinguer entre la route et la poussière rouge qui la couvre, tant les  cahots et l'impression de tôle ondulée les rapprochent. Après la traversée de quelques hameaux et d'une ville plus importante, nous entrons dans un paysage complètement nouveau. La voie ocre part tout droit à perte de vue, ligne où la terre semble s'être déposée avec la couleur d'en haut. Et puis plus rien en bas que le vert irréel des rizières, la silhouette des montagnes qui semblent disparaître dans le ciel bleu et blanc et qui éclatent dans la lumière du jour qui commence à mourir, et révèle la poussière d'or que l'air a recueilli du feu de la journée. Parfois, un troupeau de vaches claires nous coupe la route, mené par des enfants. Le pick-up klaxonne, les vaches s'écartent sans rien perdre de leur lenteur sacrée. Les enfants se retournent et nous acclament avec des hello et des cris de joie. Assis à l'arrière du véhicule parmi les sacs, nous avons du mal à ne pas nous prendre pour des Américains à la Libération. Une poussière rouge s'échappe des roues et fait tout retourner, de ces enfants et de ces bêtes, à l'idée d'une apparition. Nulle trace ne reste, j'espère, de notre passage de la mer verte du Cambodge, sinon peut-être l'attente excitée d'une autre poignée de visiteurs chez ces gamins. Les ponts où les passeurs nous montrent les planches à prendre au prix d'un bakchich, les tracteurs qui nous tirent dans l'eau par trop profonde, les hommes qui courent avec des cris dans le crépuscule pour nous montrer la voie, la lune, les étoiles, la grâce du présent et l'horreur du passé, tout semble s'oublier dans l'eau du temps qui passe. Alors, qui peut empêcher le voyageur de se sentir enfin arrivé à Angkor?

 

Au milieu d'une plaine sans fin, désert de rizières, au bout d'une piste qui n'appartient pas à l'homme mais au ciel qui la fait à son gré route des nues ou de l'enfer, après sept heures pour couvrir les quelques dizaines de kilomètres qui la séparent de la frontière, Angkor est.

Mais lorsque la pluie tombe, rappelant la poussière d'or brun à la terre,  que le sol s'ouvre  sous les pas des hommes, sous les roues des vélos, des cyclos, des pick-up ou des camions, personne ne maîtrise plus, rien. Angkor n'est plus. Ou qu'un rêve futile qui ne semble plus même mériter qu'on y pense. Les gens de là-bas vous regardent, comme enterrés vivants dans la boue qui les couvre, de leurs deux yeux bien droits sans cesser de sourire. On pousse les véhicules comme des animaux refusant d'avancer. Ils beuglent et fument, se braquent. Ce n'est que par miracle qu'aucun ne se renverse écrasant avec lui combien d'hommes... pour se laisser mourir les quatre pneus en l'air. Les camions se font face puis on sort une corde. On les attache et l'un d'eux fait marche arrière pour tirer son frère du  cratère de mine ou de bombe  transformé en gueule béante de plusieurs dizaines de centimètres qui le retient. Les roues patinent, impuissantes, le pachyderme semble se soumettre à la fatalité. Etant donnée l'absence de carcasses dans les rizières, tous semblent pourtant s'en sortir un jour ou l'autre, si la pluie le veut bien. Personne ne passe que les vélos sur la corde raide d'une mince bande de terre, lame de rasoir qui pourrait résumer toute la vie de ce peuple. Equilibristes jour après jour, il leur faut avancer, leurs deux roues surchargés de ce qui les fait vivre et dans leurs yeux le vide des coureurs de fond. On se prend à penser que l'on peut rester là. Nul ne saurait disperser les nuages, faire que le soleil nous regarde à nouveau et refermer la terre comme une plaie guérie. Seul un bouddha peut- être... Les sourires se crispent, les regards se tendent, le temps nous regarde. Autour l'immensité, l'océan doux sans une vague des rizières au vert profond. Et la route semble une digue entre deux mondes. Celui des cieux, celui des terres, tous deux noyés dans les eaux mères, en haut, en bas. La douleur du Cambodge et les yeux grands ouverts de ses miraculés au sortir de l'enfer, la Thaïlande des mirages maculés de dollars, devant, derrière. Mais le peuple à genoux, dans la  boue, s'il est prés de la terre, est aussi prés du ciel, sans doute plus encore que s'il était debout, dans l'or. Les éléments s'aiment et se mêlent, rappellent à l'homme ses origines, sa destinée. Sans un soupir, les hommes poussent, les hommes tirent, les hommes tombent, les hommes rient, les hommes passent et puis s'oublient, hommes de boue, hommes debout.

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